Reportage photo de la crise en Egypte décembre 2012 avec cette voiture abandonnée par Marc Mounier-Kuhn
Ravage
7 juin 2020

Le vacarme et le silence


-Marc Mounier-Kuhn-


 
Pourquoi vouloir PHOTOGRAPHIER des statues ? Elles sont faites pour être vues, touchées si l’on peut, pour que l’on tourne autour, saisisse le rapport des formes, la dynamique des volumes, sente à la fois que cette matière inerte est si étrangement palpitante et sensuellement proche de la vie que l’on a besoin de se rappeler qu’il s’agit bien d’un bloc de marbre ou de bronze.
Il est troublant d’assister à ces fractions du temps éternellement figées, d’une portée telle, d’un sens si profond, que le sculpteur les a précisément choisies et a sorti de la matière la vision qu’il en a eue.

Pourquoi cet instant là, et pas celui d’avant ? Et d’ailleurs, la permanence de cet instant, des gestes arrêtés ne rend-elle pas impossible de se représenter l’instant d’avant ou celui d’après ? L’existence tellement réelle, physique de la scène s’impose comme se suffisant à elle même, dans une intensité paroxystique qui n’a pas besoin d’assouvissement.

Ce qui se passe avant ou après, c’est l’image manquante, ce qui n’est jamais arrivé.

Nous voila face à une cristallisation, un « ici et maintenant » immuable.
Or, la photographie elle-même est une cristallisation de l’instant, comme une sorte de mise en abime ou de redondance. Figer un instant figé, est-ce un pléonasme ? Ou cela prend-il un sens dès lors qu’il y a morcellement, interprétation, adoption d’un point de vue subjectif qui modifie l’essence de ce qui est photographié ?

Mon regard photographique est une interface entre le sujet et celui qui regarde la photo du sujet. Je donne à croire que je montre, mais en réalité, j’interprète et donne à voir quelque chose de bien plus intime et impudique que des sculptures, aussi érotiques soient-elles.